Les biais cognitifs humains : faiblesse ou opportunité ?
Patrick M. Georges
L’erreur est humaine. Nous ne sommes pas toujours rationnels. Pourquoi ? Notre intelligence traite l’information selon des règles qui peuvent être biaisées pour diverses raisons. Notre raisonnement est lent, notre mémoire est sélective, notre attention est courte, notre mémoire de travail est de faible capacité, notre communication est distordue par le langage, notre génétique est ancestrale, nos décisions sont sensibles à l’environnement… Ces biais sont encore plus actifs en cas de surcharge de travail, de stress, de scénarios rapides. Cette irrationalité naturelle a aussi des avantages : vitesse, créativité, adaptabilité…
Ces biais cognitifs peuvent être utilisés de manière néfaste ou bénéfique. Ils sont utilisés en marketing pour nous faire acheter trop et trop cher. Ce même marketing les utilise aussi pour la bonne cause comme dans les publicités pour les dons ou contre les toxiques. Ils sont utilisés par les réseaux sociaux, les médias et les divertisseurs pour nous distraire, mais aussi pour nous droguer et nous rendre dépendants d’eux. Ils sont utilisés par les artistes, souvent inconsciemment, pour nous émouvoir. Ils sont utilisés dans les interfaces de nombreuses machines qui prévoient et compensent les biais cognitifs et réduisent les erreurs humaines par leur simple conception.
Quelques biais cognitifs de base. Et des pistes pour les atténuer.
- L’effet de halo. Nous jugeons une chose sur trop peu de ses aspects, surtout les premiers, surtout les plus saillants. Par exemple, nous avons tendance à juger ce qui est beau comme bon. Le simple fait d’être conscient de ce biais diminue son effet.
- L’effet de différence. Nous jugeons une chose différente comme dangereuse par a priori. Seulement si nous lui en donnons le temps, notre raisonnement approfondi l’analyse et propose une seconde opinion : ce qui est différent est riche.
- L’effet de répétition. Nous avons tendance à juger une chose qui est répétée comme plus crédible, plus vraie. Les slogans répétés ont souvent le but caché de faire croire. Le savoir peut nous aider à nous en méfier.
- L’effet d’émotion. Nos décisions émotives ne sont pas toujours prises dans notre intérêt à long terme. Si nous en revenons aux faits seulement, une seconde opinion apparait dans notre esprit.
- L’effet de lenteur de traitement de l’information. Nous avons tendance à penser que nous avons toujours trop de travail, que nous sommes débordés. Si nous ralentissons un peu notre rythme, ce biais, et ses effets s’estompent.
- L’effet de mémoire sélective. Nous retenons plus les mauvais moments. Ecrire noir sur blanc nos réalisations, nos réussites aide à réduire ce biais.
Quelques utilisations fréquentes en direction d’entreprise
Les nouveaux tableaux de bords et reporting pour manager sont ergonomisés. Les biais de décisions sont ainsi réduits dans les affaires. Il en est de même pour les cockpits des avions modernes visant le pilotage sans incident. Par exemple, les informations sont présentées aux décideurs, souvent surchargés, uniquement sous forme de réponses à leurs questions. Les grands tableaux sont divisés en plus petits qui ne comportent pas plus de quelques chiffres, les arborescences ne comportent pas plus de trois branches, les phrases ne comportent jamais de plus de dix mots…tout cela pour tenir compte des biais et limitations connues de la mémoire de travail humaine.
Les applications et logiciels d’aide à la décision récents tiennent compte de nos biais cognitifs pour les compenser automatiquement et ainsi nous rendre plus « intelligent ». Par exemple les jauges à carburant qui, lorsqu’elles se vident, sont automatiquement agrandies dans notre champ visuel pour tenir compte de l’effet de taille qui nous dit que plus une chose est grande, plus elle est importante.
Quelques utilisations fréquentes en marketing et communication
A l’inverse, les nouveaux sites d’e-commerce sont conçus pour favoriser les erreurs du consommateur pour jouer de ces biais et inciter à l’achat impulsif, biaisé. Par exemple « plus qu’une chambre de libre », est souvent une information fausse, mais qui biaise notre décision par effet de stress. Faites l’expérience, sortez du magasin ou du site avant de finaliser vos achats. Dans un nombre significatif des cas, vous ne rentrerez pas à nouveau. Votre rationalité, débarrassée des biais cognitifs activés par le magasin, resurgira rapidement.
Les réseaux sociaux comme Facebook jouent, consciemment ou pas, de ces effets pour augmenter le nombre de visites par jour et augmenter le temps moyen par visite. Par exemple, la multiplication des petites notifications « récompensantes » qui jouent de notre attirance erronée vers les gratifications immédiates.
Quelques utilisations fréquentes en médias et divertissements
Les films, séries et émissions qui plaisent au plus grand nombre utilisent de nombreux CFX – Effets Cognitifs Spéciaux- qui nous poussent inconsciemment par nos biais cognitifs, par exemple à nous identifier aux personnages et animateurs en leur donnant des caractéristiques équilibrées entre faiblesse, similarité et exemplarité.
Lecture avec liste des références
Système 1 / Système 2 : les deux vitesses de la pensée, Flammarion, coll. « Essais », 2012, 555 p. (ISBN 2081211475 et 978-2081211476). L’auteur Daniel Kahneman est un psychologue Prix Nobel d’économie.
Patrick M. Georges est médecin neurochirurgien de l’Université de Bruxelles, spécialisé en sciences cognitives appliquées.
Il est professeur en management au Collège des Ingénieurs à Paris.
Vous trouverez de nombreuses pistes pour favoriser son intelligence sur son site public.