La manipulation au quotidien
Yves-Alexandre Thalmann
La manipulation concerne tout le monde : chacun d’entre nous est prêt à se laisser culpabiliser. La parade consiste à oser formuler clairement les enjeux de la situation, et y réagir en conséquence.
La manipulation est un thème malheureusement à la mode. Le terme est cependant trompeur : il fait penser aux spécialistes de la publicité, de la vente ou de la politique, ainsi qu’aux gourous de sectes dangereuses. Il existe certes des techniques de manipulation savamment élaborées qui sont utilisées par des spécialistes. Mais la vie quotidienne n’est pas épargnée par les petites manipulations que chacun d’entre nous met régulièrement, et parfois inconsciemment, en place.
Recourir à des moyens détournés
De façon générale, la manipulation est définie comme le recours à des moyens détournés, cachés, pour atteindre un but. Manipuler, c’est arriver à faire faire quelque chose à quelqu’un à son insu, ou contre son gré. Par exemple, l’enfant qui fait une crise lorsque ses parents passent à la caisse du supermarché pour recevoir une sucrerie (qui n’est pas placée à cet endroit par hasard) agit en connaissance de cause.
Nous pratiquons tous, à nos heures, la manipulation. A chaque fois que nous insistons pour obtenir une faveur (« allez, sois sympa, tu peux bien me donner un coup de main »), que nous menaçons (« si tu ne m’accompagnes pas dans ma famille, je ne viendrai plus dans la tienne ! »), que nous flattons (« tu t’y connais tellement bien en jardinage, je suis heureux de t’avoir comme voisin »), nous devenons des manipulateurs. Et la liste n’est de loin pas exhaustive…
Culpabiliser l’interlocuteur
Une des techniques de manipulation la plus couramment pratiquées consiste à culpabiliser l’interlocuteur : « c’est de ta faute si j’en suis là », « tu dois être satisfait, tu as réussi à me mettre hors de moi », « tu vas me rendre fou », « tu m’as brisé le cœur ; jamais plus je ne pourrai faire confiance à un homme », et plus simplement encore « tu m’énerves ». Toutes ces phrases visent à rendre l’autre responsable de notre ressenti, et comme celui-ci est en l’occurrence plutôt pénible, elles induisent la culpabilité. But de l’opération : amener l’interlocuteur à faire un geste pour réparer sa prétendue faute.
Ainsi, une phrase en apparence anodine comme « tu m’énerves » recèle un fort pouvoir de culpabilisation. Non seulement elle rend l’autre responsable de notre colère, mais elle exerce une pression pour qu’il change quelque chose dans ses agissements. C’est donc une façon détournée de formuler une demande, agissement très à la mode dans certains types d’éducation : « tu fais des histoires alors que d’autres n’ont pas à manger. Sais-tu au moins combien d’enfants meurent quotidiennement de faim ? » ou « tu as un toit et une famille et tu oses te plaindre ! ».
Des demandes claires et explicites
Pour éviter cela, nous devons prendre l’entière responsabilité de nos demandes. Il s’agit de formuler des requêtes claires et explicites, sans faire pression sur nos interlocuteurs, et accepter leurs réponses, qu’elles soient positives ou négatives. Par exemple, plutôt que de jouer à la victime (« quelle catastrophe ! Je dois absolument finir ce rapport pour demain. Je n’y arriverai jamais seul, et tu connais le patron : il va littéralement me tuer ! Si seulement quelqu’un pouvait m’aider… »), mieux vaut dire : « Bonjour Jacques. J’ai une demande à te faire. Je dois rendre un rapport pour demain et j’ai de la difficulté à le terminer seul dans les délais. Serais-tu disposé à m’aider ? ». Et pour éviter tout malentendu : « Il n’y a pas de problème à me dire non ; je trouverai une autre solution ».
D’autre part, nous pouvons décider de ne plus céder à la manipulation, c’est-à-dire refuser de nous laisser culpabiliser. Plutôt que de nous laisser embarquer dans des demandes implicites teintées de culpabilisation, nous solliciterons une formulation claire et explicite de la part de notre interlocuteur, à laquelle nous pourrons répondre en tout état de cause. Par exemple, notre voisin sonne en fin de journée à notre porte en disant : « Ah, je suis content de te voir. Je suis vraiment dans l’embarras, je dois retourner au bureau pour finir un dossier très important, mais je ne peux pas emporter mon chien. Et tu connais mon patron, il est inflexible sur les délais. Si je ne respecte pas l’échéance, je crois qu’il serait capable de me mettre à la porte… ». Nous pouvons alors demander « et qu’attends-tu de moi ? » ou alors « as-tu une demande à me faire ? », suite à quoi nous pourrons prendre position en toute liberté.
La manipulation est nocive pour les relations. Elle finit infailliblement par les endommager. Décider de ne plus donner suite à la manipulation, c’est donc opter pour le respect mutuel et le bien-être de chacun dans la durée.
Docteur en sciences naturelles
Professeur de psychologie au Collège St-Michel à Fribourg (niveau pré-universitaire)
Auteur (plus de 50 ouvrages) : la psychologie positive et le bonheur, le fonctionnement du cerveau et de l’esprit (sciences cognitives), la communication et ses aspects obscurs (mensonges, manipulation, etc.), les relations de couple et l’intimité.